Mariette
s’assied lourdement sur la chaise et pose ses deux coudes sur la table. Ses
gros doigts noirâtres enserrent ses joues. Son regard glisse sur le sac en
plastique qui pend à son dossier.
—
Allez, arrête de faire c’te tête, ma Yette, lui dit Raton, mal rasé et
ébouriffé.
A
la table, Momo bégaie une gentillesse incompréhensible, tandis que Paco observe
en silence tout le monde sauf Mariette.
Raton
lève la main en direction du serveur qui fait mine de ne pas voir avant de se
tourner vers le patron : qu’est-ce que je fais ? Le patron hoche la
tête : c’est l’heure creuse.
Le
serveur s’avance à contre-cœur.
—
Quatre cafés ! commande Raton, royalement.
Il
gonfle le torse, se rengorge.
—
C’est pas chouette ici ? claironne-t-il.
Tout
d’abord, personne ne répond. Puis, la voix de Mariette racle le silence, comme
du papier de verre :
—
C’était le seul qui m’aimait vraiment…
Paco
soupire et Momo se tourne dans tous les sens, cherchant une diversion.
—
Mais nous, on t’aime ! s’exclame Raton. Allez ma Yette, quoi, fais pas la
gueule, faut tourner la page !
—
C’est trop facile, c’est trop facile à dire, articule-t-elle.
Les
larmes lui montent aux yeux. Momo voudrait qu’on change de sujet, mais sa
bouche ouverte reste muette. Raton contemple les dorures autour du miroir
mural. Il toussote.
—
Un p’tit café… ça fait longtemps, hein ? lance-t-il finalement en forçant
l’entrain.
Momo
hoche vigoureusement la tête : oui-oui-oui ! Mariette essuie la larme
qui roule sur sa joue. Paco renifle. Le serveur revient.
Il
y a l’odeur du café, soudain. Et puis les petites pochettes rouges et noires,
dures, à côté de la cuillère minuscule. Et le sachet blanc qu’on secoue avec un
bruit de sable. Momo fait un sourire édenté d’une oreille à l’autre. Raton lui
rend son sourire et Paco grogne en se redressant, les yeux soigneusement
baissés vers la tasse. Mariette passe un doigt hésitant sur l'anse.
—
Il paraît que c’est l’meilleur du coin, hasarde Raton.
— C’est s-s-s-s-sûr ! s’écrit Momo.
Paco
aspire à grand bruit le café.
—
Chaud, bougonne-t-il sans pouvoir cacher son plaisir.
Il
déchire le sachet blanc, avale d’un coup le sucre, gosier en avant. Ça craque sous
la dent puis ça fond. Il grommelle. Penché au-dessus de sa tasse, Raton hume la
fumée. Il joue avec le sachet rouge et noir en le cognant contre la table :
tac, tac, tac ! Momo lui répond machinalement en tapant avec la cuillère.
Même Mariette goûte le café, les lèvres en avant et le sourcil relevé.
—
Ça fait longtemps ma Yette, hein ! s’exclame de nouveau Raton.
Elle
hoche la tête, l’air ailleurs. Elle n’ose plus regarder du côté du sac en
plastique. Paco est à la recherche de la dernière goutte de café. Soudain, il
repose brutalement la tasse, remue les jambes, saisit le sachet noir et rouge et
le déchire d’un coup de dent. Tous l’observent en silence. Il happe le carré
brun, le suce à grand bruit, les yeux mi-clos. Il froisse le papier, la bouche
vide.
—
On f’ra comment, pour les sous ? demande-t-il.
Raton
caresse sa poche : on a déjà compté, c’est bon.
Paco
va être de mauvaise humeur. Momo s’agite, tente en vain de trouver un mot à
dire. Mariette ouvre la bouche mais Raton prend les devants : c’est
chouette, il fait beau ! Elle plonge le nez dans sa tasse. Paco se racle
la gorge. Raton enchaîne : y’en a qui disent que ce s’ra le meilleur
été !
—
I’ pue ton clebs, ’faut l’jeter ! lance Paco, les yeux rivés au sac en
plastique.
Mariette
se redresse. Son visage se crispe, sa lèvre inférieure commence à trembler.
Raton allonge le bras par-dessus la table et touche sa main : c’est pas la
peine, ma Yette… Elle hoche lourdement la tête. Ses sanglots secouent
silencieusement sa poitrine. Momo, très agité, fait grincer sa chaise. Paco
marmonne en jetant des coups d’œil furtifs à Raton.
—
C’est pas si gentil que ça ce qu’t’as dit, lui reproche Raton.
Paco
hausse les épaules, maladroitement : ben quoi, c’est pas vrai qu’i’
pue ? Ça f’ra deux jours…
Il
s’arrête, fusillé par le regard furieux de Raton. Momo se balance sur sa
chaise :
—
Y-y a-a-a plus d’c-c-caf-f-f-f-f-f-fé ? crie-t-il.
Au
loin, le serveur leur jette un œil mauvais.
—
Bon, on va y aller, décide Raton.
Momo
est déjà debout. Mariette essuie ses yeux sur sa manche. Raton fouille dans sa
poche et étale l’argent sur la table : c’était quand même chouette, non,
ce p’tit café ?
Un
peu penaud, Paco se racle encore la gorge, les yeux toujours rivés au sac en
plastique.
—
C’est pas une raison, même s’i’ pue, que… ’fin, j’veux dire, tu vois, j’y vais
y faire un trou, moi, à ton clebs, un trou sous l’arbre là où y a la tente. Comme
ça, i’ s’ra toujours avec nous…