Et puis, il y a eu la lettre. Elle est
arrivée dans une enveloppe vélin, caressée par une écriture élégante et ornée
d’un timbre rare. « Rencontrons-nous » disait-elle, simplement.
J’ai commencé à écrire mon roman.
« Il était une fois, un homme et une
femme solitaires qui correspondaient sur Facebook. »
Je déchirai la page. Je ne suis pas de ceux
qui résistent aux nouvelles technologies, mais sont-elles vraiment compatibles
avec mon style de narration ?
« Deux jeunes gens solitaires avaient
échangé des dizaines de lettres enflammées sans s’être jamais rencontrés. Puis,
il y a eu la lettre ».
Il ne restait plus qu’à attendre notre
rendez-vous pour continuer mon histoire. Lorsqu’elle accepta de me rencontrer
dans le romantique jardin du Luxembourg, j’eus la certitude de trouver bientôt l’inspiration
parfaite pour mon roman ainsi que le destin d’une vie à deux et, par la même
occasion, le moyen infaillible d’échapper à ma dépression saisonnière.
Au jour et à l’heure convenus, elle est
arrivée, silhouette éthérée dans ses vêtements de soie et de lin, début
d’automne resplendissant avec ses cheveux roux volant dans l’air mélancolique du
premier dimanche d’octobre. Radieuse, elle m’a tendu une main douce et chaude
que j’ai retenue dans la mienne, sidéré par sa beauté. Elle a rougi et, dans un
gentil élan, m’a embrassé sur les deux joues avec un petit rire gêné. Mon cœur faisait
des bonds dans ma poitrine. J’ai proposé, le souffle coupé, que nous nous
assoyions, et pendant qu’elle parlait de sa voix profonde et grave, je la
dévorais des yeux. C’était elle, ma muse adorée, celle que j’attendais depuis
si longtemps !
— Vous m’avez dit que vous écriviez ; qu’écrivez-vous,
exactement ?
Il y avait une simplicité dans sa façon de
poser des questions qui m’entraîna sans hésitation sur la voie de la franchise.
— J’écris des romans d’amour qui peuvent
paraître surannés, mais qui sont d’une grande sincérité : c’est simple,
tout ce que je raconte, je l’ai vécu. Je ne peux écrire autrement ! Vous
aussi, vous écrivez, n’est-ce pas ?
— Ma vie ressemble étrangement à la
vôtre : j’écris sur des sujets qui me tiennent à cœur et que m’inspire mon
quotidien.
Mon cœur battait de plus en plus fort. Elle
serait donc ma sœur intellectuelle, mon double ! J’étais tout près de l’embrasser,
mais d’après les canons du roman d’amour, il était encore trop tôt.
— Qu’écrivez-vous, actuellement ? Lui
demandai-je.
— Un témoignage très drôle, qui
s’intitule : « Moi, Roger R. Ou comment je me suis déguisé en
femme ».
Je la… le regardai, douché, glacé, pétrifié.
Dès que je retrouvai mes moyens, je bondis sur mes pieds et pris mes jambes à
mon cou.
— Personne n’est parfait ! Cria-t-il
derrière moi, dans un éclat de rire qui résonna diaboliquement à mes oreilles…
Rosalia Dowing, je te hais ! Comme
l’année dernière, tu tentes de me déstabiliser en m’envoyant des créatures
destructrices pour tarir mon inspiration. Mais sache, gribouilleuse jalouse,
que mon talent surmontera tous les obstacles que tu dresseras sur mon chemin
pour m’empêcher de répondre aux exigences de mon éditeur, et que tu
n’obtiendras pas le contrat qui m’est dû ! Et si je n’ai, comme tu le
prétends, aucune imagination, je saurai trouver une fin digne d’un grand
écrivain : seulement cette-fois-ci, je délaisserai peut-être le registre
du roman d’amour pour celui du roman noir, où je te réserve une place peu
enviable !
Ce texte a été publié sur le forum Maux d'auteurs, qui organise régulièrement des jeux d'écriture de petites nouvelles. Les règles du jeu étaient les suivantes : le texte devait commencer par la phrase : " Et puis, il y a eu la lettre ", et la dernière phrase devait comprendre le mot " fin ".
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