Il
neige sur le rebord de la fenêtre, et déjà je les vois approcher. Ils suivent
l’allée, cortège silencieux, enveloppés dans leur grande blouse blanche qui se
confond avec la ligne du crépuscule. Pour l’instant, ils se contentent de jeter
un regard entendu sur mon lit, les doigts tapotant contre la vitre. Ils
s’entretiennent par signes, leur langue est froide et immobile. Sous leurs
semelles, le coton crisse, accompagnement discordant de l’horloge de ma tempe.
J’ai
mal. Tout à l’heure, à l’endroit où je gis, il y aura un linceul, lissé par des
mains indifférentes : ici, je ne fréquente personne, malgré ma jeunesse. Mes
amis sont loin. Ma famille est plus loin encore. La honte m’a fait partir sans
rien dire. Ils me croient sans doute déjà mort. Je l’espère : leur douleur
sera passée.
Et
Lidia ? M’a-t-elle devancée dans le néant ? Vite que la fin vienne
pour que j’échappe à la morsure du remords !
Comment
pouvais-je savoir qu’elle serait la victime de tout ce qu’elle a fait
disparaître chez moi ? Ma vie dissolue, volatilisée dès qu’elle posa les
yeux sur moi, aura eu raison d’elle : la maladie honteuse toucha la
blanche colombe… et moi, dans ma noirceur de maudit, j’ai fui en silence au
milieu de la nuit quand j’ai su que j’étais condamné, et elle aussi
certainement !
Les
ombres blanches dansent dans le jardin. C’est l’heure, c’est l’heure !
*
Entre
deux flacons patinés par le temps, la vieille Macha pile quelques graines dans
une terrine ébréchée.
—
Grand-mère, le monsieur est mort ! Crie un gamin au seuil de la porte,
avant de disparaître dans un claquement de lapti.
La
vieille continue à piler ses graines, sans sourciller. Puis, elle essuie ses
grosses mains rouges sur son tablier, tire une feuille de papier crasseux du
tiroir du buffet, et écrit d’une patte maladroite de paysanne mal
lettrée :
« Mademoiselle
Lidia, grâce à Dieu, la potion a fait merveille : c’est fini ! Que le
Seigneur tout-puissant vous protège.
Votre
toujours dévouée Macha. »
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