Jacques
a dit que dans la vie, on doit toujours se faire plaisir. Ce n’est qu’un chien,
mais c’est mon meilleur ami et comme il vit avec moi, il sait ce qu’il me faut.
Pour Noël, j’ai donc décidé de me faire plaisir.
Je
rêve d’évasion. De la fenêtre de la salle de repos, si j’écrase bien mon nez
sur la vitre, j’aperçois le coin de la rue. Le carrefour, la boîte aux lettres.
A Noël, c’est là que je veux aller. Je veux poster moi-même une lettre à
Jacques. Ce sera une surprise pour lui. La surprise, ce sera le timbre, parce
que les lettres, je lui en écris tous les jours. Seulement, quand je demande à
Félicitée quelques timbres, elle rétorque : « Mon travail ici, c’est
la distribution des bonbons ». Trois bonbons verts à 8 heures, deux
bonbons bleus à 20 heures. Il ne faut rien en attendre de plus. Quant à
Josiane, elle ne vient pas très souvent, et elle refuse de voir les lettres que
je lui pose sur la table pour qu’elle les poste ! Il paraît que c’est
ainsi que sont les sœurs… Mes lettres ne sont donc jamais envoyées : le
soir, avant la distribution des bonbons, je les ouvre et je les lis directement
à Jacques.
Voici
le 24 décembre ! Ce soir, je pars en voyage ! Je mets mes chaussures
et mon manteau de laine. Dehors, la neige a étendu un grand tapis sous les
fenêtres pour étouffer mes pas, mais c’est inutile, je ne crains pas qu’on m’entende :
tout le monde est occupé dans la salle à manger. Viens, Jacques ! On
grimpe sur la petite table de ma chambre, on atteint la fenêtre. Les
barreaux ? Un jeu d’enfant ! Ils sont descellés depuis longtemps…
Saute, mon vieil ami !
J’ai
oublié de passer un pantalon chaud. Mon pyjama est criblé de petits flocons
glacés. Que c’est beau ! J’ouvre la bouche pour boire le ciel qui tombe
tout blanc et doux. Que c’est bon ! Champagne pour Jacques ! Je
cours, je glisse, je ris… Liberté ! Vingt mètres jusqu’à la boîte aux
lettres : cours, Jacques, cours ! Je crois sentir son haleine chaude
et saccadée sur mes talons.
Nous
y sommes ! Cette boîte jaune, coiffée de sucre scintillant, n’attend que
ma lettre. Ne regarde pas, Jacques, c’est une surprise ! Je tourne sur
moi-même, mais rien n’y fait : ses deux yeux restent fixés sur ma main. Je
virevolte donc en fermant les yeux. Et j’entends la lettre qui glisse, glisse,
puis qui tombe au fond de la boîte avec un bruit tellement incroyable que j’en
perds l’équilibre ! Après, c’est le trou noir.
-
Jacques, dormez-vous ?
Dans
un brouillard blanc, Félicitée me regarde d’un œil inquiet. Allongé sur mon
lit, je tâte la bosse sur mon front et me souviens de tout : je virevolte
sur la chaussée, une voiture glisse, glisse, me renverse. Renverse le pauvre
Jacques.
Jacques
a dit que quand les meilleurs amis meurent, ils vivent à jamais en nous. Je
suis quand même triste. Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Vous
saisissez, Docteur ?
Oubliez
la virgule, et vous aurez tout compris, Jacques, m’a répondu le médecin.
Quelques
jours après l’accident, Josiane m’a offert une boule de poils qui aboie tout le
temps : comme ça, quand je rentrerai à la maison, je ne me sentirai plus
seul. Je ne veux pas la froisser, mais j’ai autre chose à faire que de
m’occuper d’un sac à puces. Enfin, pour l’instant, je suis tranquille :
les chiens ne sont pas autorisés, ici.
Ce "texte de folie" a été publié sur le forum Maux d'auteurs, qui organise régulièrement des jeux d'écriture de petites nouvelles.
Il est destiné à des adultes qui peuvent aussi apprécier les beaux
dessins. N'hésitez donc pas à me proposer une illustration ; je vous
laisserai avec plaisir un espace pour vous présenter dans la rubrique "beaux crayons" !
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