Cinq,
quatre, trois, deux, un… Toute la salle avait scandé le compte à rebours d’une
seule voix, et quand deux hommes en livrée apparurent sur le seuil de la porte
avec l’énorme gâteau surmonté d’un « 25 » crépitant d’étincelles, je
participai au mouvement général : je bondis sur mes pieds et entonnai à
pleine gorge « joyeux anniversaire, joyeux anniversaire ! »
Guillaume s’avança, beau comme un dieu, et posa fièrement devant le gâteau. Le
souffle court, je vidai d’un trait mon verre de vin. A mes côtés, mon compagnon
d’un soir, ivre, beuglait une chanson paillarde. Je le détestai sur le champ et
retins de justesse une remarque désobligeante.
Mais
qu’est-ce qui me prend de vieillir aussi mal ? A moi non plus, l’alcool ne
réussit pas, et j’ai envie de pleurer. Je me demande soudain où sont passés mes
vingt-cinq ans, ce que j’en ai fait. L’esprit confus, je fouille dans mon sac, à
la recherche du temps perdu. Dix ans de souvenirs, ça ne peut pas s’envoler
ainsi, n’est-ce pas ? Pourtant, rien ne me revient en tête : je ne
sais même pas comment j’avais fêté mon quart de siècle…
Je
sortis une boîte de fond de teint et camouflai quelques rides.
Guillaume,
toujours éblouissant, offrait à tous son sourire le plus charmant – pourquoi
cet empoté de Benoît ne cessait-il pas sa chanson obscène, alors que je lui
écrasais le cœur à coups de coude ? – et nous envoya un
« merci ! » qui arriva comme un baiser doux sur mes lèvres. Je
frissonnai. Serais-je assez belle pour faire oublier les dix ans qui nous
séparaient ? Serais-je assez jeune pour être la compagne plutôt que la
meilleure amie ?
Avec
délices, je dégustai quelques miettes de gâteau en dévorant Guillaume des yeux.
Lui, allait de table en table, serrait les mains, embrassait les joues.
J’avalai ma cinquième coupe de champagne avant qu’il ne pose son bras sur mon
épaule et me claque un baiser sur la tempe : « Ma chère amie, il faut
absolument que tu m’accordes la première danse ! »
Nous
avons valsé. Et j’ai compris pourquoi je n’avais plus le souvenir des dix
dernières années. Elles s’étaient évaporées, elles n’avaient jamais
existé ! J’étais si jeune, les bras forts de Guillaume me serraient contre
lui et j’entendais vibrer son rire dans ma poitrine. C’est le grand
amour ! C’est lui, j’en ai la certitude ! La tête me tournait !
Il m’a dit quelque chose que je n’ai pas compris et c’est là, à l’instant
précis où les lumières déchiraient la pénombre, que j’ai posé mes lèvres sur
les siennes. Ses bras se sont desserrés, il m’a lancé un regard surpris d’un
quart de seconde, puis a éclaté de rire : « Toi, alors ! »
Ensuite, comme s’il ne s’était rien passé, il m’a conduite par l’épaule à une
table voisine : « Je te présente Julie. Julie, voici Christine, une
amie comme tout le monde en rêve ». Devant moi se dressait Julie, très
blonde, très jolie, et très jeune. Elle m’a tendu une main chaleureuse :
« Je suis ravie de vous connaître, Christine ! Depuis le temps que
j’entends parler de vous ! »
Cinq
secondes me séparaient des larmes et de la porte. Cinq, quatre, trois, deux,
un…
Ce texte a été publié sur le forum Maux d'auteurs, qui organise régulièrement des jeux d'écriture de petites nouvelles.
Il est destiné à des adultes qui peuvent aussi apprécier les beaux
dessins. N'hésitez donc pas à me proposer une illustration ; je vous
laisserai avec plaisir un espace pour vous présenter dans la rubrique "beaux crayons" !
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