Impossible
de dormir en ce dimanche matin de vacances. Je me suis donc levé et j’ai
commencé à faire du rangement dans le salon. Je suis tombé sur un vieux carton
oublié au fond d’un placard et dedans, j’ai retrouvé la lettre de Jenny que je
n’ai jamais ouverte. Puis la pluie s’est mise à tomber et j’ai abandonné l’idée
du rangement : je me suis accoudé au rebord de la fenêtre pour humer
l’odeur de la terre mouillée et chaude que j’aime tant. Je me suis souvenu…
J’avais
toujours rêvé de visiter New York et je m’étais juré d’aller voir la Grosse
Pomme après ma licence de lettres. J’avais tout organisé depuis longtemps et
avais même noué des contacts épistolaires avec quelques New-Yorkais pour qu’ils
me livrent des conseils. Jenny était l’une d’eux. Nous nous écrivions
régulièrement depuis près d’un an quand je lui annonçai que j’avais enfin
acheté mes billets d’avion. Nos échanges prirent une tournure un peu
particulière quand nous joignîmes à nos envois quelques photographies – afin de
nous reconnaître quand nous nous donnerions rendez-vous. Elle me parut jolie,
je lui semblai charmant.
Deux
jours avant mon voyage, ma sœur m’emmena dans un de ses magasins préférés où je
trouvai un cadeau pour Jenny : un carré de soie représentant le Bal du
Moulin de la Galette de Renoir. J’étais sûr que Jenny apprécierait, elle qui
rêvait de visiter un jour le quartier de Montmartre. De retour à ma chambre de
bonne, je trouvai la porte béante et mes affaires sens dessus dessous, mon
passeport disparu, mes billets d’avion envolés. La mort dans l’âme, je
téléphonai à Jenny pour lui dire que je ne la verrais pas cette année-là.
La
pluie tombe toujours. J’ai mis un disque d’un groupe de jazz comme il s’en
produit sans doute dans l’un des nombreux clubs new-yorkais. La cigarette que
j’ai machinalement allumée se consume au bout de mes doigts.
Une
semaine après le cambriolage, les tours du World Trade Center s’effondraient,
heurtées par deux avions déroutés par des terroristes. D’après le circuit de
visites que Jenny avait organisé, nous aurions dû nous y rendre ensemble ce 11
septembre 2001. Finalement, elle y est allée seule.
Je
n’ai jamais visité New York. Mon rêve s’est transformé en cauchemar. Je regarde
les cendres au bout de mes doigts et je pense à la vie qui se consume, au
basculement des destins. Est-ce vraiment la peine d’ouvrir cette lettre,
dix ans après ? Je palpe l’enveloppe, regarde le timbre, la date de son
cachet : 10 septembre 2001, New York. Ce jour-là, je partai en Sicile,
loin de toute tragédie, pour y oublier mes regrets de voyage avorté. J’y ai
fait mieux encore : j’y ai rencontré ma femme. D’un rêve de vacances
brisé, j’étais passé à des vacances de rêve. Le faire-part de décès que je
trouvai au retour dans ma boîte aux lettres en a terni le souvenir.
Pourquoi
cette nostalgie ? On ne choisit pas son destin… Une petite silhouette en
pyjama apparaît sur le seuil de la porte et une main s’agrippe à la mienne.
« Pourquoi tu pleures, Papa ? » Je ne pleure pas, mon fils, ce
n’est que la pluie qui roule sur ma joue.
J’ai
reposé la lettre dans le carton, à côté du carré de soie où sourit une
immortelle jeune fille, l’air rêveur.
Ce texte a été publié sur le forum Maux d'auteurs, qui organise régulièrement des jeux d'écriture de petites nouvelles.
Magnifique !!! J'adoooooooooore
RépondreSupprimerTriste mais plein de sagesse,d'espoir et de poésie....Bravo Marine !
*Keren*
Merci, Keren ! Encore une fois, tes compliments me vont droit au coeur :-)
RépondreSupprimer