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Amis lecteurs, je vous souhaite une agréable visite sur ce blog.
Ici, vous trouverez des mots qui font des histoires pour les petits et pour les grands.
Des mots plus ou moins sérieux, même si l'écriture n'est jamais tout à fait innocente.

Si vous êtes éditeur, je vous invite à visiter ma page de projets pour les enfants et ma page de projets pour les adultes.

Si vous êtes illustrateur et qu'une petite histoire plus ou moins vraie vous inspire un dessin, je serai heureuse de le mettre en ligne avec une présentation de vous sur ma page dédiée aux beaux crayons. Vous pouvez proposer une illustration pour n'importe quel texte.

jeudi 18 décembre 2014

Lettre au Père Noël



« Cher Père Noël,

Je ne t’en demandais pas tant.
C’est vrai, j’étais seule, j’avais un peu trop bu, et mes paroles ont sans doute dépassé ma pensée.
Mais quand même, un homme parfait… c’était vraiment trop…
Aussi, pardonne-moi si, cette année, je te demande une imperfection pour mon homme. Je suis sûre que tu comprendras quand tu auras considéré la situation… »

Élisa posa son stylo et promena un regard las sur son salon : il n’y avait plus rien dans cette pièce, à part une petite chaise et une vieille table sur laquelle elle pouvait écrire sa traditionnelle lettre au Père Noël. Au moins lui restait-il cela, et elle en était heureuse car malgré les quolibets qu’elle essuyait chaque année, elle n’aurait manqué pour rien au monde le rendez-vous avec ce personnage qui la faisait rêver malgré ses vingt ans.
« Je m’en fiche qu’il n’existe pas, je lui fais un courrier, et j’ai ce que je demande ! Tiens, d’ailleurs, pas plus tard que l’an dernier…»

*

— Tu verras, Princesse, on rachètera tout en mieux ! lui avait dit l’homme parfait.
Le calcul était simple : tout vendre, puis tout acheter en neuf, en plus beau. Grâce à ses talents de négociateur, il allait lui offrir un « intérieur de pacha ». Élisa, elle, s’en fichait un peu de l’intérieur de pacha, mais il avait été si convaincant… Il lui avait promis :
— Je ne m’installerai avec toi que lorsque j’aurai tout réaménagé, Trésor. Ton appartement est déprimant, il n’est pas à la hauteur d’une dame comme toi !
Il était donc venu avec des amis. Trois amis, charpentés comme lui, beaux comme lui, la chemise ouverte sur un torse puissant. Elle les avait regardé avec plaisir emporter tout le mobilier du salon. 
Son cœur en réclamait encore après qu’ils eurent emporté le dernier meuble du salon. (« Oui, je sais, Père Noël, ce n’est pas bien de fantasmer aussi sur les copains de son amoureux, mais comment faire autrement ? », pensa Élisa.)
Ce jour-là, l’idée qu’ils reviendraient vite prendre la cuisine équipée et l’électroménager la remplissait de joie : « Plus tard, petite Perle », laissa échapper l’homme parfait. Il était fatigué. Elle se vexa un peu : n’était-il pas pressé de s’installer avec elle ?
— D’accord, céda-t-il. Nous reviendrons demain.
Ils étaient donc revenus le lendemain, chemise ouverte, grands, beaux, musclés. L’œil gourmand, elle les avaient regardé vider l’appartement.
— Je vais te gâter, Bijou ! lui disait-il à chaque passage dans l’escalier.
Puis, il était parti.

*

C’est long de faire des meubles sur mesure. Le fournisseur contacté par l’homme parfait prenait beaucoup de retard et il se trompait souvent dans les commandes. Cela durait depuis presqu'un an et Élisa commençait à percevoir les difficultés de son couple.

« Tu vois, Père Noël, cet homme-là est trop parfait… Il veut tellement bien faire, mais moi, tout ce que je veux, c’est vivre avec lui ! Et puis j’en ai assez de ma plaque électrique et de mon matelas par terre ; je rêve d’un four et d’un lit… Ne te vexe pas, Père Noël, c’était réellement une bonne idée de me l’offrir pour Noël l’année dernière, descendu tout droit de la cheminée (tellement charmant avec sa corde et ses crampons, malgré son sac vide ! ). Je ne te demande que de changer un détail chez lui, un tout petit détail : rends-le un peu moins scrupuleux, cela nous facilitera la vie ! »

Parmi ceux qui croient au Père Noël, certains ont de la chance, d’autres non. Élisa faisait partie des premiers : ses souhaits étaient toujours exaucés. Cette année ne fit pas exception : l’homme parfait qu’elle avait eu en cadeau un an auparavant perdit ses scrupules dès le 25 décembre : quand elle l’appela pour lui souhaiter un joyeux Noël, une voix robotisée lui répondit : « Il n’y a plus d’abonné au numéro que vous avez demandé ». Elle n’entendit plus jamais parler de lui.

lundi 2 juin 2014

Café




Mariette s’assied lourdement sur la chaise et pose ses deux coudes sur la table. Ses gros doigts noirâtres enserrent ses joues. Son regard glisse sur le sac en plastique qui pend à son dossier.
— Allez, arrête de faire c’te tête, ma Yette, lui dit Raton, mal rasé et ébouriffé.
A la table, Momo bégaie une gentillesse incompréhensible, tandis que Paco observe en silence tout le monde sauf Mariette.
Raton lève la main en direction du serveur qui fait mine de ne pas voir avant de se tourner vers le patron : qu’est-ce que je fais ? Le patron hoche la tête : c’est l’heure creuse.
Le serveur s’avance à contre-cœur.
— Quatre cafés ! commande Raton, royalement.
Il gonfle le torse, se rengorge.
— C’est pas chouette ici ? claironne-t-il.
Tout d’abord, personne ne répond. Puis, la voix de Mariette racle le silence, comme du papier de verre :
— C’était le seul qui m’aimait vraiment…
Paco soupire et Momo se tourne dans tous les sens, cherchant une diversion.
— Mais nous, on t’aime ! s’exclame Raton. Allez ma Yette, quoi, fais pas la gueule, faut tourner la page !
— C’est trop facile, c’est trop facile à dire, articule-t-elle.
Les larmes lui montent aux yeux. Momo voudrait qu’on change de sujet, mais sa bouche ouverte reste muette. Raton contemple les dorures autour du miroir mural. Il toussote.
— Un p’tit café… ça fait longtemps, hein ? lance-t-il finalement en forçant l’entrain.
Momo hoche vigoureusement la tête : oui-oui-oui ! Mariette essuie la larme qui roule sur sa joue. Paco renifle. Le serveur revient.
Il y a l’odeur du café, soudain. Et puis les petites pochettes rouges et noires, dures, à côté de la cuillère minuscule. Et le sachet blanc qu’on secoue avec un bruit de sable. Momo fait un sourire édenté d’une oreille à l’autre. Raton lui rend son sourire et Paco grogne en se redressant, les yeux soigneusement baissés vers la tasse. Mariette passe un doigt hésitant sur l'anse.
— Il paraît que c’est l’meilleur du coin, hasarde Raton.
— C’est s-s-s-s-sûr ! s’écrit Momo.
Paco aspire à grand bruit le café.
— Chaud, bougonne-t-il sans pouvoir cacher son plaisir.
Il déchire le sachet blanc, avale d’un coup le sucre, gosier en avant. Ça craque sous la dent puis ça fond. Il grommelle. Penché au-dessus de sa tasse, Raton hume la fumée. Il joue avec le sachet rouge et noir en le cognant contre la table : tac, tac, tac ! Momo lui répond machinalement en tapant avec la cuillère. Même Mariette goûte le café, les lèvres en avant et le sourcil relevé.
— Ça fait longtemps ma Yette, hein ! s’exclame de nouveau Raton.
Elle hoche la tête, l’air ailleurs. Elle n’ose plus regarder du côté du sac en plastique. Paco est à la recherche de la dernière goutte de café. Soudain, il repose brutalement la tasse, remue les jambes, saisit le sachet noir et rouge et le déchire d’un coup de dent. Tous l’observent en silence. Il happe le carré brun, le suce à grand bruit, les yeux mi-clos. Il froisse le papier, la bouche vide.
— On f’ra comment, pour les sous ? demande-t-il.
Raton caresse sa poche : on a déjà compté, c’est bon.
Paco va être de mauvaise humeur. Momo s’agite, tente en vain de trouver un mot à dire. Mariette ouvre la bouche mais Raton prend les devants : c’est chouette, il fait beau ! Elle plonge le nez dans sa tasse. Paco se racle la gorge. Raton enchaîne : y’en a qui disent que ce s’ra le meilleur été !
— I’ pue ton clebs, ’faut l’jeter ! lance Paco, les yeux rivés au sac en plastique.
Mariette se redresse. Son visage se crispe, sa lèvre inférieure commence à trembler. Raton allonge le bras par-dessus la table et touche sa main : c’est pas la peine, ma Yette… Elle hoche lourdement la tête. Ses sanglots secouent silencieusement sa poitrine. Momo, très agité, fait grincer sa chaise. Paco marmonne en jetant des coups d’œil furtifs à Raton.
— C’est pas si gentil que ça ce qu’t’as dit, lui reproche Raton.
Paco hausse les épaules, maladroitement : ben quoi, c’est pas vrai qu’i’ pue ? Ça f’ra deux jours…
Il s’arrête, fusillé par le regard furieux de Raton. Momo se balance sur sa chaise :
— Y-y a-a-a plus d’c-c-caf-f-f-f-f-f-fé ? crie-t-il.
Au loin, le serveur leur jette un œil mauvais.
— Bon, on va y aller, décide Raton.
Momo est déjà debout. Mariette essuie ses yeux sur sa manche. Raton fouille dans sa poche et étale l’argent sur la table : c’était quand même chouette, non, ce p’tit café ?
Un peu penaud, Paco se racle encore la gorge, les yeux toujours rivés au sac en plastique.
— C’est pas une raison, même s’i’ pue, que… ’fin, j’veux dire, tu vois, j’y vais y faire un trou, moi, à ton clebs, un trou sous l’arbre là où y a la tente. Comme ça, i’ s’ra toujours avec nous…

lundi 31 mars 2014

Automne

A l'initiative de Delphine Berger-Cornuel une vingtaine d'auteurs et d'illustrateurs ont créé des histoires illustrées et des illustrations racontées sur le thème des saisons, pour les enfants atteints de la maladie de Dandy-Walker. A cette occasion, j'ai eu le plaisir de travailler avec Eulalie Savon, dont les dessins me rendent joyeuse ! J'espère que le recueil apportera beaucoup de bonheur aux enfants et à leurs parents.



Illustration de Savon


Coiffé d’une feuille,
voici l’automne !
Il est entré dans le jardin
a croqué pommes et raisins,
a peint aux branches de la haie
la couleur vermeille des baies,
puis s’est caché à la maison
dans le panier de champignons.
Buvant les gouttes de la pluie,
sous la fougère il a grandi.
Devenu fort et majestueux
il peut danser au cœur du feu !
Pour accueillir en grande pompe
l’hiver qui vient à sa rencontre
il revêt la cape des rois
cousue dans la mousse des bois.
Décembre arrive d’un bon pas,
L’automne se sent soudain las.
Dans l’herbe il s’étend pour dormir,
il sème alors ses souvenirs.
Mille secrets, mille trésors :
marrons soyeux et feuilles d’or !





mercredi 12 février 2014

Grand amour



Il l’a regardée. Droit dans les yeux.
Il y a des signes qui ne trompent pas : elle a bien vu les perles sur ses tempes. C’est l’émotion. Il sait qu’elle l’observe. D’ailleurs, ils se sont retournés au même moment : lui vers la caméra, elle vers l’écran de sa télévision. Une telle concomitance ne peut être le fruit du hasard.
Elle irait le voir tout à l’heure, à la sortie du studio. Elle lui dirait simplement : c’est moi. Il la prendrait dans ses bras. Peu importe les caméras, les paparazzi. Elle deviendrait l’idole de la jeune génération, et de la vieille aussi. Sa célébrité dépasserait les frontières et on lui demanderait pourquoi elle est restée dans l’ombre aussi longtemps. Elle répondrait humblement : j’attendais le bon moment.

C’est le branle-bas : quels habits, quel maquillage choisir pour plaire à l’homme de sa vie ? Elle opte pour les paillettes : il les aime forcément, puisqu’il passe sa vie sur les plateaux de télévision ! Des paillettes sur les paupières, sur les lèvres, sur les joues, un pull de sequins irisés, une jupe étincelante…
C’est moi, la Lumineuse !

A dix-sept heures, elle l’attend à la sortie du studio. Elle n’est pas seule : des centaines de femmes sont attroupées, masse mouvante, haletante, trépignante.
Va-t-il venir ? Il paraît qu’il n’est pas là, aujourd’hui ! Mais si, on l’a vu en direct tout à l’heure ! Alors, il paraît qu’il est déjà parti !
Les rumeurs sont suspectes : tu dis ça pour qu’on s’en aille, pour rester seule avec lui !
On s’offusque : tu dis vraiment n’importe quoi !
Elle, elle n’a pas besoin de mensonges ou de subterfuges : aucune de ces femmes ne lui arrive à la cheville ! Elles peuvent bien rester, elle ne craint personne !

Le voilà ! Il y a un grand cri dans la foule : c’est lui ! Regarde moi ! Je t’aime depuis toujours !
La masse se heurte à la barrière de sécurité qui les isole, elle et lui.

Elle se fraie un chemin vers la barrière en écrasant des pieds. Une voix l’insulte : pousse-toi, la vieille !
Peu importe ! Elle hurle : c’est moi, je suis là !
Il tourne un peu la tête, esquisse un sourire avant de disparaître dans la voiture noire aux vitres teintées.

Il est parti en trombe.
Mais il m’a souri ! Il aurait voulu me prendre dans ses bras, mais comment faire avec cette barrière et toutes ces femmes féroces et rugissantes autour de moi ? Il veut me protéger de la jalousie des autres !
Un jour, c’est sûr, ils trouveront un moyen de se rencontrer seuls, à l’abri des regards et de la folie des femmes…

Elle rentre chez elle, le cœur en fête. Demain encore, elle sera à la sortie du studio pour guetter l’occasion, comme hier, avant-hier, et les autres jours depuis des mois.
Devant l’écran de télévision, elle sourit : il la regarde, c’est sûr !